Le Point: Un « Schengen militaire » verra-t-il le jour ?

23 Février 2024

https://www.lepoint.fr/monde/un-schengen-militaire-verra-t-il-le-jour-23-02-2024-2553261_24.php#11

Un « Schengen militaire » verra-t-il le jour ?

Le projet de « mobilité militaire » est évoqué depuis plus de 10 ans au sein de l’Otan. Mais les pays européens peinent à le concrétiser, malgré la menace russe.

Par 

Une compagnie de chars Leclerc est arrivée par train en Roumanie en novembre 2023 afin d'y renforcer la présence française.
Une compagnie de chars Leclerc est arrivée par train en Roumanie en novembre 2023 afin d’y renforcer la présence française. © Sgt Jerome Salles/AP/SIPA / SIPA / Sgt Jerome Salles/AP/SIPA

Temps de lecture : 3 min

C’est une histoire révélatrice du niveau de coopération entre les pays européens en matière de mobilité militaire. Fin 2022, la France cherche à renforcer ses capacités sur l’est de l’Europe, où elle est déployée dans le cadre des missions Lynx et Aigle. Pour cela, l’armée souhaite transférer des chars Leclerc en Roumanie. La route la plus directe passe par l’Allemagne. Problème, les Allemands bloquent ce transport par camion, à cause de… leur Code de la route.

Cette histoire a été partagée en audition parlementaire en novembre 2023 par Thierry Poulette, commandant du Centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA). « L’Allemagne a refusé l’autorisation de passage des porte-chars français, évoquant une réglementation européenne et un poids à l’essieu trop important », le porte-char pesant 37 tonnes et un char, 56. Finalement, c’est par train que les chars sont arrivés en Roumanie « en temps et en heure », assure-t-on du côté de l’armée. Un mode de transport privilégié puisqu’« aujourd’hui 75 % des ressources acheminées vers le flanc est de l’Europe le sont par voie ferrée ».

 

Un accord entre la Pologne, l’Allemagne et les Pays-Bas

Ces difficultés, la France n’est pas la seule à les connaître. Tous les pays européens y sont confrontés depuis plusieurs années. « Le déplacement des forces américaines vers la Pologne depuis l’Allemagne nécessite un délai de préavis de cinq jours », ont rapporté des responsables américains en 2017 dans Politico. Les migrants se déplacent plus facilement en Europe que les militaires de l’Otan, expliquaient-ils.

Pour y remédier, la Pologne, l’Allemagne et les Pays-Bas ont signé ce 31 janvier 2023 un accord prévoyant la création d’un « corridor militaire » pour améliorer la fluidité des déplacements militaires. En quelque sorte les prémices d’un « Schengen militaire » qui permettrait une déclinaison de « l’espace Schengen » prévoyant la libre circulation des personnes et des biens adoptée en 1995. « La guerre à grande échelle qui se déroule en Ukraine montre l’importance du déplacement rapide des troupes alliées », a expliqué Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, ministre polonais de la Défense, pour qui cet accord est « nécessaire », notamment pour livrer l’Ukraine.

Cet accord a été signé 7 ans après que la ministre néerlandaise de la Défense de l’époque, Jeanine Hennis-Plasschaert, a évoqué le projet d’un « Schengen militaire. » La « mobilité militaire » devient alors un projet européen, mais avec un budget de plus en plus léger au fil des ans (d’une enveloppe pluriannuelle de 6,5 milliards d’euros réduite finalement à 1,7 milliard).

Des véhicules de l’armée américaine endommagés en Pologne

En 2017, un rapport de l’Otan avait pointé les faiblesses logistiques de l’alliance. Les auteurs remettaient en question les capacités logistiques des pays de l’alliance. « À quoi servent les systèmes d’armes les plus coûteux lorsqu’ils ne peuvent pas être transportés là où ils sont le plus nécessaires ? » concluaient-ils, citant l’exemple de véhicules de l’armée américaine endommagés en Pologne après avoir percuté un pont dont la hauteur avait été surestimée.

 

Depuis, les avancées restent timides, alors qu’entre-temps la menace russe s’est précisée. La faute le plus souvent aux infrastructures et aux réglementations nationales qui prennent le pas, comme cela a été le cas avec les chars Leclerc en Allemagne. « Nous manquons de temps. Ce que nous ne faisons pas en temps de paix ne sera pas prêt en temps de crise ou de guerre » a déploré fin 2023 Alexander Sollfrank, responsable d’une unité de l’Otan dédiée à ce projet.