A RELIRE – Un an de guerre en Ukraine : les sept leçons militaires et stratégiques
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Retour de la rhétorique nucléaire en Europe, profondeur stratégique, transparence du champ de bataille… Le général Vincent Breton, directeur du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations, identifie sept grandes leçons à retenir du conflit en Ukraine. Explications.
Premier enseignement : le retour de la rhétorique nucléaire en Europe
Outre le retour de la guerre de haute intensité, l’invasion russe de l’Ukraine fait ressurgir la rhétorique nucléaire en Europe. Ces menaces marquent la fin de « notre vision fantasmée d’un ordre mondial […] définitivement apaisé ». Le fait que la Russie ait menacé à plusieurs reprises d’utiliser ses armes nucléaires conditionne l’appréciation de la nature du conflit par l’ensemble des protagonistes. Pour le général Vincent Breton, cette dimension nucléaire pourrait ne pas rester sans conséquence : « Ce retour est inquiétant, parce qu’il y a le risque d’une nouvelle prolifération nucléaire dans les prochaines années à travers le monde. »
Deuxième enseignement : la guerre se déroule sur les sept champs de conflictualité
Les affrontements se déroulent sur tous les champs : terre, air, mer, espace, cyber, mais aussi sur les champs informationnel et électromagnétique. Même si les milieux cyber, maritime et aérien semblent jouer un rôle mineur dans le conflit, le général Breton estime qu’il « serait dangereux de considérer qu’ils sont devenus inutiles ou obsolètes ».
Les cyberattaques russes n’ont pas été efficaces, car l’Ukraine s’était préparée en protégeant ses infrastructures : « Sans cette grosse préparation en amont […], les effets cyber auraient été bien plus visibles et plus importants. »
En mer Noire, si le calme semble régner aujourd’hui, c’est parce que les deux belligérants se neutralisent parfaitement. La marine russe possède une suprématie incontestée au large, mais la défense côtière ukrainienne l’empêche de conduire des opérations amphibies ; « si vous rompez cet équilibre, la guerre va prendre une tout autre tournure. »
Enfin, dans le domaine aérien, le général Breton constate qu’aucun des deux belligérants ne parvient à imposer sa supériorité.
Ainsi, ces trois milieux ne sont pas devenus obsolètes ou secondaires : « Bien au contraire. C’est parce que la liberté d’action des belligérants est empêchée dans ces milieux que cette guerre se prolonge. »
Troisième enseignement : la difficile compréhension des intentions des belligérants
Pour analyser cette difficulté à comprendre les intentions des belligérants, le général Breton est revenu sur les différentes erreurs d’analyse qui ont précédé le déclenchement de la guerre.
Beaucoup d’observateurs avisés n’imaginaient pas que Vladimir Poutine puisse attaquer l’Ukraine : « Ils considéraient que cette guerre était ingagnable par la Russie, car ils savaient que la Russie n’arriverait pas à contrôler toute l’Ukraine […] Et pourtant, malgré cette analyse très rationnelle, la Russie est passée à l’attaque, parce que la Russie aussi se trompait dans son analyse. » Pour le général Breton, la Russie a surestimé la capacité de ses forces armées et elle a sous-estimé la capacité de résistance ukrainienne ainsi que la réaction des Occidentaux.
Quatrième enseignement : la transparence du champ de bataille
Grâce aux nouvelles technologies, une partie du brouillard de la guerre se dissipe. Avec les satellites militaires et civils, les drones, le renseignement d’origine électromagnétique et les sources ouvertes comme les médias ou les réseaux sociaux, il est de plus en plus difficile de se cacher sur le champ de bataille. Cette visibilité entraîne de fait de nouveaux risques et des occasions qu’il faut savoir saisir.
Cinquième enseignement : la guerre reste un affrontement des forces morales
Les forces morales sont primordiales pour tenir dans une guerre de haute intensité qui dure depuis un an. Si la détermination des Ukrainiens joue un rôle majeur dans leur capacité à résister, la faiblesse des forces morales de l’armée russe explique en grande partie les difficultés qu’elle rencontre sur le terrain.
Pour le général Breton, cette faille s’explique à la fois par le mensonge systémique qui règne au sein de l’armée russe et par la non-préparation psychologique pour un conflit de haute intensité.
L’entrave de la remontée d’informations en provenance du front, quand les choses ne se passent pas comme prévu, prive les chefs d’une vision claire du champ de bataille.
Dans le même temps, les soldats russes, qui pensaient être accueillis en libérateurs par un peuple opprimé, ont été surpris par la détermination ukrainienne.
Sixième enseignement : l’importance de la profondeur stratégique
L’accès aux ressources est indispensable pour durer dans un conflit de haute intensité. Alors que l’Ukraine tire sa profondeur stratégique du soutien massif de l’Occident, la Russie dispose de nombreuses ressources internes sur lesquelles s’appuyer : « La Russie nous a rappelé à quel point elle était grande en superficie et en richesses. » Elle dispose en effet d’un espace géographique très riche en matières premières. Mais surtout, le pays a basculé en économie de guerre et il dispose toujours d’un stock de munitions considérable hérité de la Guerre froide. Enfin, la Russie a réduit un certain nombre de ses dépendances, en particulier dans le domaine alimentaire, en s’imposant comme le premier exportateur de blé depuis 2020.
Septième enseignement : la faculté d’adaptation des belligérants
Chaque jour, les deux belligérants inventent de nouvelles façons de faire la guerre, en fabriquant des équipements avec ce qu’ils ont sous la main. Pour le général Breton, « des leçons sont à tirer de ce que font les Ukrainiens en mixant des capacités militaires et civiles. » Pour appuyer ses propos, le général a évoqué leur capacité à utiliser tous les outils du numérique civil au profit de leur chaîne de commandement et de conduite des opérations.